LES MUSES DU NET- Le webzine internénettes

J’ai longtemps crû que Paris était le centre du monde.

Comment pouvait-il en être autrement quand le pays dont on est la capitale est au centre de tous les planisphères ? Sur cette dernière question, je compris assez vite que, si les planisphères européens étaient bel et bien centrés sur la France, il en était autrement des planisphères américains ou asiatiques, qui faisaient preuve, sinon d’une démesure affligeante, du moins d’un ethnocentrisme déplacé. C’est ainsi, qu’en classe de seconde, un cours de Madame Langevin, agrégée ès histoire-géographie, avait eu sur moi l’effet d’un coup de massue. Mais Paris n’en restait pas moins La Ville.

Il y a tout à Paris : les magasins, les théâtres, les restaus où l’on se sustente à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, les grands boulevards où l’on flâne en persiflant sur le look des passantes avec une bonne copine, le Louvre et ses chefs d’œuvres inestimables, le Grand Palais et ses files interminables, les cars emplis de japonais collés aux vitres qui vous regardent comme si vous étiez des indigènes égarés en pleine savane, des amoureux en veux-tu en voilà sur les bords du canal Saint Martin,  les nouilles chinoises Leader Price que l’on peut trouver dans n’importe quel Franprix de quartier,  ma nouille de frangine, la flamme du pont de l’Alma ultime étape de morbides épopées, les promenades à rollers du vendredi soir auxquelles je ne participe pas tant la technique de freinage de ces engins m’apparaît obscure, des animaleries des quais de Seine au cas il vous viendrait à l’idée saugrenue d’offrir le gîte et le couvert dans votre studio à un bon gros labrador, la Samaritaine et ses rayons dédaléens très achalandés (on trouve tout à la Samar' -enfin, on trouvait tout -, y compris la tondeuse à gazon de vos rêves dont vous n’aurez jamais le luxe de se servir), la Coupole, le Flore, et « Chez Brahim », qui, soit dit en passant, sert un délicieux couscous les jeudi et vendredi midis, ma mère, les meilleurs médecins de France, les pires avocats aussi, la Seine, l’obscène, Pigalle, Claire Chazal, le Duplex, tous mes ex, des bars de « speed dating » à la pelle, et même des restaurants où l’on dîne dans le noir complet, lieux de perdition idéal pour faire connaissance.

Aucun risque, a priori, d’être célibataire à Paris. Tout est propice à la rencontre. On sort la semaine et on se repose le week-end, quand en province on sort « occasionnellement » le samedi soir, pour faire prendre l’air à bobonne, et que l’on a eu la chance de trouver une jeune étudiante servile et candide pour garder les enfants pour cinq euros l’heure.

On en oublierait presque qu’un parisien sur quatre est célibataire, conséquence directe d’une vie consumériste et trépidante. Paris : capitale des amoureux, des champignons, du jambon au torchon, et… des boudins ?

Non, Paris, capitale de la modernité, de la liberté. Car aujourd’hui vivre libre, c’est vivre seule, sans mec quoi. Ou pas trop longtemps, parce qu’après, il risque d’envahir notre petit nid de solitude si appréciable. Alors, c’est ainsi, on va à la pêche à l’âme sœur comme on fait ses courses chez Monop’, et parfois, miracle de la modernité, on peut faire les deux en même temps dans des supermarchés équipés de paniers en forme de coeur. Ceci étant dit, cela revient un peu cher à mon goût (3 euros 10 le paquet de coquillettes, faut pas se fiche du monde quand même !).

Moi, je préfère internet.

Depuis que j’ai fait l’acquisition d’un petit portable qui peut se loger facilement entre mon micro-ondes et mon grille-pain, ma vie s’est métamorphosée.

J’ai même rencontré Cœurdebraise28, euh… enfin Philippe. Un garçon charmant qui fait tout sur Internet : ses courses, son travail, l’amour ( !!).

Nos premières conversations étaient pourtant bien mal engagées :

Coeurdebraise28 : « Bonjour Loulou (de Riri, Fifi et Loulou ?). C’est quoi en arrière-plan de ta photo ? On dirait un fil à linge avec des slips qui sèchent ! »

Loulou_oui_cest_moi : « Euh, j’ai pris la photo avec la webcam de chez ma sœur ! »

Coeurdebraise28 : « Au temps pour moi. Eh bien, tu complimenteras ta sœur au sujet de sa déco ;-)».

Loulou_oui_cest_moi : « Mmhh, oui… »

Désormais, je vais au pressing, et les choses se sont bien vite arrangées avec Philippe par la suite.

Nous nous sommes rencontrés un samedi. J’ai pris ma Twingo pour rejoindre Philippe à la gare Montparnasse, histoire de la faire rouler un peu. Paris est une ville peu étendue finalement, ce qui est appréciable. Je n’ai mis que dix minutes pour arriver à destination, et un peu plus pour me garer proprement sur une place de livraison (une demi-heure). Une blondasse en Mini-cooper s’est mise à vociférer quand j’ai heurté son pare-choc en faisant mon créneau. Quelles connes ces parisiennes ! Ce sont les premières à se garer au bruit, et elles ne supportent pas que l’on effleure le pare-choc de leur pot de yaourt ambulant…

- « Loulou, c’est toi ? »

C’est tout ce qu’a trouvé à me dire Philippe lorsqu’il est apparu enfin dans mon champ de vision alors que je faisais le pied de grue devant la gare Montparnasse depuis dix bonnes minutes.

Il m’a alors avoué que son train avait un peu de retard.

 - « Comment ça ton train ? Tu es venu en train ? Tu veux dire que tu n’habites pas Paris ?! Mais tu habites où ? »

Catastrophe. Philippe habite dans un trou. Nogent-le-Rotrou précisément. Cela explique qu’il fasse autant de choses sur Internet : il n’y a rien dans ce genre de bleds dont le seul nom évoque explicitement le néant qui y règne.

Nogent-le Rotrou, c’est où d’ailleurs ? C’est au-delà de la zone six de la carte orange si ça se trouve... Il y a un H&M, une Samaritaine là-bas ? Il les achète où ses tondeuses à gazon, ce plouc de Philippe?

Philippe prétend que ce n’est pas une tare d’être provincial, et que chez lui il n’y a peut-être pas de concert de Johnny au Stade de France (grand bien lui en fasse !), mais au moins les gens disent bonjour en entrant dans une boulangerie et n’ont pas cet air renfrogné qu’ont les parisiens aigris.

J’allais lui dire qu’il se trompait, que les gens de Paris étaient des gens très aimables si on savait bien leur parler, lorsqu’un couple de japonais armé de leur Fuji de compétition nous aborda pour nous demander son chemin.

- « Eiffel toaaawer ?? You go right, then left, and euh…"

- « Comment ? Tu ne sais pas où se trouve la Tour Eiffel, tôôôôa la parisienne ! »

Bien évidemment que je savais où se situait la tour Eiffel, mais en anglais beaucoup moins, voilà tout. Et je me suis bien gardée de le lui dire. En tout cas, j’espère que les nippons étaient bien chaussés car ils n’étaient pas près d’arriver à bon port.

- « On y va ? »

- « Où ça ? »

- « Voir la Tour Eiffel, je n’ai pas ça non plus à Nogent, figure toi ! »

- « Mais c’est super has been de monter en haut de la Tour Eiffel ! »

- « Allez, viens, on y va ! »

C’est ainsi que j’ai pu admirer Paris de son point culminant, aux côtés d’un Philippe émerveillé qui s’extasiait de pouvoir apercevoir, coupant la ligne d'horizon, la Défense et ses gigantesques buildings (déjà la banlieue !).

Je n’étais jamais montée au sommet du centre du monde, et il a fallu que ce soit un plouc de province qui m’y emmène. La honte.