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Débarquement rue Lepic

« Voilà, le dernier carton est monté, je suis crevée ! Allons boire un Coca, nous l’avons bien mérité ! Au fait, j’ai oublié de te le dire quand on s’est vues la première fois, mais je suis lesbienne. J’espère que cela ne te dérange pas ».

Je n’avais pas déchargé le dernier carton de mon déménagement depuis deux minutes, que cette fille m’annonce sans plus de protocole qu’elle est homosexuelle, comme elle m’aurait avertie de la présence d’une tache inopinée de café sur la moquette de ma chambre, de l’invasion inopportune de cafards dans l’évier de la cuisine ou d’un dysfonctionnement de la serrure de la porte d’entrée.

Elle est lesbienne, autant qu’elle est blonde, élancée, Taureau ascendant Scorpion, ma colocataire pour six mois, intermittente du spectacle, végétarienne, anti-cléricale, écolo, allergique au pollen, et visiblement désordonnée.

Nous sommes le 28 avril 2004, et je viens de poser mon dernier carton chez une lesbienne bordélique.

Une lesbienne, et puis ?

Qu’ai-je à y faire si elle a décidé de son propre chef de ne pas ou ne plus coucher avec des hommes? Est-ce que cela change pour autant sa façon de vivre, de payer le loyer, de remplir le réfrigérateur, ou encore de faire le ménage ? La sexualité n’a rien à voir avec de telles contingences matérielles, à ce que je sache.

Seul risque : Qu’elle s’en prenne à mon corps de vestale, pas romaine pour deux sous, et finalement pas si vestale… Je suis une femme après tout, de surcroît pas trop moche d’après les échos que j’en ai, et l’idée de partager une certaine promiscuité avec une femme qui aime les femmes m’a plongée un instant dans une profonde méditation introspective… Cette pensée m’a parue à la fois effrayante et séduisante, et il me faut avouer que la perspective qu’elle puisse un jour tenter de me séduire n’était pas pour me déplaire complètement.

Mais c’est absurde.

Allons, allons, raisonnons nous : Ce n’est pas parce qu’une femme est lesbienne qu’elle saute sur tout ce qui bouge !

Décontenancée l’espace d’un instant par l’aplomb avec lequel elle m’a fait l’aveu de l’inavouable, je n’ai su lui répondre que par un laconique et finalement peu rassurant « Ce n’est pas grave, il y a pire!», et que j’ai immédiatement fini par regretter.

J’ai baissé les yeux, tandis qu’elle s’emparait de la bouteille de soda dans le réfrigérateur, le visage éclairé par un sourire amusé.

Chloé a toutes les caractéristiques du rejeton post soixante-huitard. Elevée par des parents ayant concouru aux jeux de soixante-huit dans l’épreuve du lancer de pavé, elle a reçu une éducation permissive qui a fait d’elle une jeune femme de trente ans visiblement libre, et qui n’est pas aux prises avec une morale judéo-chrétienne trop prégnante.

On ne peut pas malheureusement pas dire que ce soit mon cas, même si je m’efforce, contre nature, à me libérer de certaines contraintes sociales émanant de l’environnement socioculturel dans lequel j’ai grandi et toujours vécu.

C’est peut-être ce qui explique qu’elle ose les tongs hors du nid de la rue Lepic, et moi pas… J’ai les orteils frileux.

J’ai su, dès notre première rencontre suite à l’annonce qu’elle avait fait publier dans le « Journal des particuliers », que Chloé pouvait être classée dans la catégorie de ceux que l’on appelle communément les gens « cool », ce qui en soi ne veut absolument rien dire, hormis pour des amateurs d’anglicismes de tout poil ou de jeunisme forcené, mais qui finalement lui va bien.

Elle est « cool » au sens où avec elle tout « coule » de source, « il n’y a jamais aucun problème », tout est « nickel chrome », « no soucy », et tout le bazar…

Evidemment, d’après ce qu’elle a pu m’en dire, il va falloir que je m’accoutume à l’immixtion régulière de ses amis à la maison. Cela ne me dérange pas outre mesure, à condition que l’appartement de la rue Lepic ne se transforme pas en une sorte de « maison bleue » accrochée à la colline où l’on vient à pied (normal, il est impossible de se garer dans le quartier), et surtout où l’on ne frappe pas (là, c’est déjà plus gênant), comme dans la chanson de Maxime Leforestier, où tous les amis (et surtout les amiEs) seraient tellement les bienvenus qu’ils s’en confondraient avec les habitants d’ici-lieux. J’imagine bien tout ce petit monde là regroupé autour de la table basse du salon, le nez dans une assiette de pâtes bolognaises, sur fond de musique lounge branchouille.

 Nous avons refait un petit tour du propriétaire, un verre salvateur de Coca-Cola à la main.

L’appartement, très lumineux et relativement bien agencé pour une construction des années 60, est conçu sur deux étages. La chambre de Chloé est campée en haut d’une mezzanine qui, bien que d’apparence bringuebalante sur des appuis de bois anarchiquement plantés au beau milieu du salon, me parait être la pièce la plus insolite et agréable de l’appartement, sous ses allures de cabane d’Huckleberry Finn. Je n’ai eu d’autre choix que de m’approprier la chambre du bas, nettement plus conventionnelle, mais qui a l’avantage précieux d’être accolée à la salle de bain. Il s’agit là d’un confort non négligeable pour la coquette que je suis, puisqu’en tant que femme moderne (c’est bien ainsi que l’on nomme celles qui ont relégué leurs manuels de cuisine au fond du placard, si ce n’est au pilori), je passe plus de temps dans la salle de bain que dans la cuisine.

Peut-être changerai-je d’avis à l’avenir en fréquentant la belle et spacieuse cuisine américaine, qui recèle de produits de grande gastronomie susceptibles d’éveiller mes instincts culinaires les plus refoulés: Pâtes de toutes les formes, sauces bolognaises de toutes les saveurs jusqu’aux plus incongrues (mon imagination ne m’avait pas joué de tours cette fois-ci !) et, histoire de varier les menus, boites de conserve « Ed l’épicier » une personne à n’en plus finir, gâteaux et confiseries en quantité suffisante pour passer un hiver ou une guerre mondiale en parfaite autarcie. Rien d’écolo là-dedans en tout cas ! Le Bio est encore trop cher pour être commercialisé chez notre ami Ed.

Alors que je m’attardais sur le contenu du placard entrouvert, Chloé en a profité pour m’indiquer mon étage, ainsi que le compartiment du frigo qui m’est attribué. Nous avons, moi et mon mètre soixante-cinq, hérité de l’étage du haut, ô joie, ô bonheur !

Dans le salon, agrémenté de poufs (pas de « pouffes » à l’horizon à cet instant précis) et de toutes sortes d’objets importés de quelque contrée exotique (peut-être proviennent-ils tout simplement des puces de Clignancourt), une grande baie vitrée offre une vue imprenable sur les toits ruisselants de Paris. En se penchant sur la petite fenêtre orientée au nord, on peut même apercevoir le Sacré-Cœur.

Une chose était certaine, après inspection approfondie de la salle de bain : S’il n’y a là ni pilule contraceptive, ni capotes dans les tiroirs, les placards sont remplis d’un fatras innommable de produits cosmétiques en tous genres. Elle est lesbienne, elle n’en est pas moins femme. J’en conclus, hâtivement peut-être, qu’une lesbienne est une femme comme les autres, celle là en tout cas. Pas d’objets exotiques en vue, c’est plutôt rassurant.

 Je n’ai pu m’empêcher, en visitant sa chambre, d’imaginer combien de filles différentes avaient pu en passer le pas, voire plus si affinités.

Ecrit par ClaireDesmarets, à 21:12 dans la rubrique "Roman en ligne".

Commentaires :

  muse
20-10-04
à 18:11

Eh bien moi, il me tarde de connaître la suite des évènements Claire...En effet, tu sembles quelque peu troublée( pour ne pas dire bcp)ou pour le moins très intriguée par la révélation intempestive de l'homosexualité de ta (jolie) co-locataire!;)
je te confirme qu'une lesbienne n'en est pas moins femme et même féménine j'en suis!Mais malheureusement elles sont encore un peu rares même si on en trouve de plus en plus.
Le plus difficile encore est de la trouver jolie, intelligente, drôle, et vive d'esprit! lol
Je ne voudrais pas parler au nom de la grande sappho (webmastrice de ce site), mais je peux te dire que la plupart des filles discutant ici le sont!(dixit sappho)
Enfin bref, tout cela pour dire que je comprends tout à fait tes interrogations, et ton...trouble? J'étais hétéro jusqu'aux bout des ongles avant de basculer du coté obscur;) Alors un petit conseil fais attention car cela peut devenir très vite contagieux, se faire séduire par une jolie femme est si agréable, si différent qu'on se laisse facilement tentée..A bon entendeur,
SALUT..

ps: d'ailleurs oublie mon petit conseil!;)

ps2: je connais très bien la rue lepic, tu devrais essayer le petit resto marocain situé en haut de la rue il est très bien!!!

  muse
20-10-04
à 18:17

ah mais je viens de réagir! c'était le 28 avril, il y a donc déjà 6 mois! lol que s'est-il donc passé depuis... rien de spécial apparemment, mais pour venir relater cet épisode aujourd'hui c'est que cela a dû te marquer un tant soit peu...
Ceci dit si j'ai bien lu ton récit, tu dois être sur le point de déménager donc bon courage! ;)

  Sappho
22-10-04
à 18:56

Re:

La suite va venir, n'aie crainte! ;-)

  ClaireDesmarets
22-10-04
à 21:56

Re:

Hum, tu vas vite comprendre mlle la muse anonyme ;-)



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