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Premier jour à gratter le ciel

L'angoisse du premier jour est enfin passée.

Peut-être laissera-t-elle place d'ici quelques heures à l'angoisse du deuxième jour, mais en attendant, je m'accorde quelques moments de répit devant une émission de télé-réalité abétissante à souhait (quoi de mieux, en fin de compte, pour reposer d'innocentes neurones mises à rude épreuve toute une journée?).

- "Je suis sure que Steven couche avec Jennifer, t'as pas vu comment ils se tripotent?!"

- "Mmhh.. probable."

Les interventions intempestives de Chloé, lorsqu'elle daigne sortir son nez du paquet de Chips au vinaigre, anglaises et passablement infectes (comme si les deux allaient naturellement de paire), n'élèvent pas d'un cil le débat intellectuel (si tant est qu'il ait eu lieu), à mon grand contentement.

Une première journée de travail est souvent éprouvante. La mienne l'a été, assurément. J'avais réglé le réveil Mickey, qui m'a toujours réveillée à l'heure depuis mon enfance, à 7H00, certaine d'avoir le temps de me préparer tranquillement et de pouvoir gagner en toute quiétude les bureaux de Chaignaud Construction à la Défense pour 9H. La confiance aveugle que je porte à mon réveil Made in DisneyWorld me perdra: il était 7H45 lorsque la maudite souris beugla, a priori en raison de piles défaillantes ayant ralenti quelque peu le mouvement des aiguilles, et je bénéficiai d'un laps de temps largement amputé par des minutes de sommeil supplémentaires, sans qu'elles soient superflues, pour me doucher, prendre une collation, enfiler mon tailleur, me maquiller à peu près correctement et filer vers la bouche de métro la plus proche. Si j'avais été Wonder-Woman, tout cela aurait été fait en une demie seconde, le temps de deux trois tours sur moi-même, et surtout, j'aurais fait comme toute femme moderne qui se respecte: je me serais réveillée avec le réveil intégré de mon téléphone portable, de la chaîne-hifi branchée sur AC-DC ou l'horloge du micro-ondes (mhh, peut-être pas...).

Mais voilà, je ne suis pas Wonderwoman, et c'est quelque peu ébouriffée que je me suis engouffrée dans l'ascenseur de la tour Chaignaud, virilement érigée et grattant le ciel avec superbe. Les miroirs des ascenseurs sont, heureusement, souvent salvateurs. J'en ressortis avec une coiffure quasi-impécable.

La blonde péroxydée qui faisait office d'hotesse d'accueil m'avait indiqué le chemin du bureau de M. Marguet, mon supérieur hièrarchique , que je finis par trouver après 10 minutes de pérégrination dans le dédale de couloirs. M. Marguet m'a réexpliqué brièvement l'objet de mon embauche. Depuis la recrudescence des marchés de construction en Ile de France, l'entreprise Chaignaud avait cru opportun d'embaucher un jeune chargé de projet fraichement sorti de l'école spéciale des travaux publics.

Le degré de féminisation étant considéré comme un indicateur de modernité, il était certain qu'en ce domaine l'entreprise Chaignaud en était encore à l'age de pierre. A en croire M. Marguet, il n'y avait pas âme féminine qui vive dans les services techniques. Seules les secrétaires relevaient péniblement le taux de féminisation qui flirtait désespéremment avec le ras des paquerettes.

Et moi, à ma petite échelle, j'allais participer à cette conquête du BTP par les femmes.

J'avais tout le temps d'y songer lorsqu'au flot de paroles débité par M. Marguet succéda le silence qui régnait dans ce qui allait devenir mon antre professionnelle, mon bureau. Il fallait que je prenne mon courage à deux mains pour tenir jusqu'à 18H30, égarée au milieu d'un fatras épouvantable de dossiers, tous aussi abscons les uns que les autres. Pour sûr, la clarté viendrait avec l'expérience, il ne pouvait en être autrement.

Tour Chaignaud, 26ème étage, bureau n°56. L'anonymat noyé de multitude me tombait sur les épaules.

Mais j'avais investi le temple de la virilité.

Ecrit par ClaireDesmarets, à 12:18 dans la rubrique "Roman en ligne".



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